
L'ŒIL D'ANIMA
Kséniia Onishchenko
Kséniia, ACTRICE, réalisatricE… SURVIVANTE
Artiste et ukrainienne, Kséniia Onishchenko est une jeune femme dont le parcours incarne une rare combinaison de talent, de résilience et d’engagement. Elle est née dans le nord de l’Ukraine, du coté de la frontière biélorusse, à Tchernihiv, dans une maison construite de ses mains par son père. Une maison simple, vaste, avec un jardin que sa mère cultivait comme on préserve un monde. Cette maison n’existe plus. Elle a été pulvérisée par les bombes, au tout début de l’invasion russe. Tout a disparu.
Kséniia, elle, a survécu. Avec ses deux enfants. Avec sa mère.
Avant la guerre, Kséniia Onishchenko vit son rêve d’enfance, elle a quitté sa province, elle est comédienne à Kyïv ! Une actrice admirée, formée à l’Université nationale de théâtre Karpenko-Kary, l’équivalent de notre CNSAD. De 2008 à 2013, elle est actrice permanente au Théâtre national Ivan Franko, l’un des plus prestigieux du pays. Elle y joue des rôles classiques majeurs (Nina dans La Mouette, Viola dans La Nuit des Rois, Suzanne dans Le Mariage de Figaro), puis rejoint en 2013 la troupe du Théâtre Molodyy, où elle rêvait de travailler depuis toujours. Elle y crée de nombreux spectacles, avant de s’orienter progressivement vers l’écriture et la mise en scène, notamment avec le collectif Wild Theater. Elle y monte des pièces audacieuses, sociales, parfois provocantes, qui rencontrent un large public en Ukraine. Elle écrit, elle filme, elle crée. Une voix qui compte dans le renouveau de la scène ukrainienne.
Elle jouait encore, le 23 février 2022. Une pièce de Yasmina Reza. Sa dernière réplique, ce soir-là : “Allez, on rentre à la maison.” Le lendemain matin, à 4h, sa mère la réveille : “La guerre a commencé.” Plus rien ne sera jamais pareil.
À Kyïv, elle obtient deux diplômes : l’un en art dramatique (2006-2011), l’autre en réalisation (2017-2021). En parallèle de sa carrière théâtrale, elle joue dans de nombreux téléfilm et nombreuses séries ukrainiennes, tout en développant une œuvre cinématographique personnelle. Parmi ses courts-métrages écrits et réalisés, Vrai Amour (2018), Happy Nation (2019), Point Zéro (2020) ou encore Sœurs (2020) sont sélectionnés dans des festivals internationaux. Son style mêle réalisme poétique, engagement social et narration sensible. Début 2022, elle reçoit un prix national pour son projet d’avant-garde où elle embarque une trentaine d’acteurices !
Le 24 février 2022, la guerre éclate.
Kséniia, mère de deux enfants, Francesca et Christian, deux petits bouts fort sympathiques qu’elle élève seule, se trouve à Kyïv. Refusant d’abord de fuir, elle prend conscience de la nécessité de partir. L’exil n’est pas un choix. C’est un arrachement. Kséniia résiste d’abord. Elle descend dans un abri avec ses enfants et sa mère, trente personnes entassées dans une cave, entre les chats et les sirènes. Elle y célèbre l’anniversaire de ses 35 ans. Puis vient l’évidence : fuir, pour survivre, pour protéger ses enfants. Grâce à l’appui d’amis artistes et de l’association Artists at Exil, du programme Pose du Collège de France, elle quitte l’Ukraine, passe par Prague, et rejoint la France. Le Phénix, Scène nationale de Valenciennes, l’accueille en résidence. Son équipe sera toujours attentive à cet atterrissage en terre du nord, pas forcément simple.
C’est au Phénix que le lien se fait avec anima motrix, par le biais de son directeur, nous nous rencontrons. Kséniia vit aujourd’hui à Valenciennes avec ses enfants, sans bénéficier du statut de réfugiée. Un choix qu’elle assume, car il ne lui permettrait pas de retourner à Kyïv si nécessaire, pour y aider sa mère qui y vit de nouveau, seule. Alors Kséniia travaille, autant qu’elle peut.
Depuis son arrivée en France, elle n’a eu cesse de créer. Son théâtre est traversé par la mémoire, la perte, l’exil, mais aussi par la résistance poétique. Fin 2022, tout en luttant contre l’aspiration d’une dépression face à son isolement linguistique, elle développe L’Ukraine inconnue, un projet documentaire, gastronomique et scénique. Puis en 2023, elle entame une adaptation des Chevaux de Feu, un spectacle enfiévré qu’elle mettra en scène et qui se jouera au studio du Phénix. Elle joue aussi dans Une valise, un court-métrage produit en France. Aujourd’hui, sa maitrise du français lui permet d’aborder tout type de travail à la scène comme à l’écran. Et elle fourmille de projets, de plans, de belles pistes. Elle est comme ça Kséniia, d’une espèce bondissante et souriante, et d’une beauté fracassante avec ça.
En février 2025 au Cabaret de curiosités du Phénix, en compagnie de Lionel Palun (720 Digital) et Laurent Hatat (anima motrix) à l’écriture scénique, elle présente Kséniia, un prénom qui veut dire l’étrangère, une performance hybride, à la fois témoignage et manifeste. Ce projet, intime et politique, dit l’errance des corps déplacés, mais aussi la lutte pour garder vivante une voix, une langue, un art. Une forme d’humour aussi quand elle présente au public la paire de chaussures achetées la veille de la guerre pour un rendez-vous qui n’aura jamais lieu.
Voici ce que Jean-Pierre Thibaudat en dit dans son blog sur Médiapart “Kséniia est seule en scène, on la voit et on l’entend à travers un faisceau entre réel, virtuel et halo agencé par la compagnie anima motrix. Un jeu visuel double et trouble tout comme la vie de cette actrice (…) On a pu voir le début prometteur de ce spectacle, une vingtaine de minutes, mêlant mots dits en français et en ukrainien, saisissements visuels de Kyïv à l’heure des bombes et du couvre-feu, avec au sol, la valise de l’exil contraint.”
Dans ce spectacle encore en construction – il a fait l’objet d’une nouvelle résidence d’écriture à La Chartreuse en mars 25 – Kséniia incarne une figure d’exil artistique pétrie de courage et de résilience, porteuse d’une voix singulière, féminine, engagée. Elle appartient à cette génération d’artistes pour qui la scène n’est pas un refuge, mais un champ de bataille symbolique. Une lutte pour l’indépendance, sous toutes ses formes.
Ensemble avec Kséniia, anima motrix, 720 digital et le Phénix et nous voulons finaliser le spectacle au plus vite ! Alors à suivre !
Kséniia est et reste ukrainienne jusqu’au bout des ongles. Cela ne l'empêche pas, elle avec ses enfants, d’être déjà un bout de France, cette part que l’on aime, celle qui s’efforce d'accueillir.