
L'ŒIL D'ANIMA
Anna Sauvage
Anna Sauvage, Créatrice de lumière
Une fois n’est pas coutume : faisons passer Anna de l’ombre à la lumière !
Écartons un peu les voiles de flux photoniques qui masquent Anna Sauvage, la formidable créatrice lumière avec qui anima motrix travaille depuis près de douze ans. Oui, elle porte un nom d’héroïne de roman, et elle le mérite. Car elle est bretonne ! Avant même d’être française, ajoute-t-elle en riant. Mer salée, œil affûté, caractère bien trempé et une immense capacité d’empathie. Une véritable contemporaine !
Elle est née au granit des Côtes-d’Armor, elle a grandi à Plénée-Jugon puis elle a mis le cap sur Talensac. Des noms qui affichent fort leur spécificité. Dès la sixième, elle rencontre le théâtre ! Club théâtre, atelier à la MJC du village voisin. Très vite, elle fait partie de ceux qui prennent les choses en main : Catastrophe, l’asso de la MJC explose brutalement, toutes les activités ferment ! À 15 ans, avec sa petite troupe de théâtre, ils refusent le diktat. Ils montent leur propre asso « Les Échappés ». (En fait, ils voulaient l’appeler « les échappés de la MJC », mais les parents ont mis le holà, on n’allait pas continuer la guerre éternellement, hein !) Et voilà la petite bande qui fait passer des entretiens pour embaucher… ses propres profs de théâtre ! C’est reparti ! De son côté, en plus, elle prend en main les ateliers pour les plus petits et les préados. Là, elle découvre la mixette 12 circuits et les 12 projos, tout un univers bien séduisant.
En toute logique, pour élargir le champ, à la fac de Rennes, c’est en Arts du spectacle qu’elle s’inscrit. Certes plus axée sur l’histoire, la dramaturgie et l’administration-production, mais pas de souci puisque chaque été elle rattrape le côté pratique : avec la compagnie Les Feux de l’Harmattan de Dinard, elle s’embarque pour le festival d’été bien nommé : assistanat à la mise en scène, un zeste d’administration, beaucoup de montages qu’elle attend avec impatience ; déjà la lumière qui appelle. On la retrouve d’ailleurs plus tard créditée « Créatrice Lumières » parmi les techniciens associés de la troupe !
En ces années toutes bariolées d’expériences, son choix s’affine. Ce sera la lumière, tout d’abord côté technique. Elle cherche une formation, dans le service public, on ne roule pas sur l’or ! Elle déniche l’exigeante formation STAFF à Carquefou (près de Nantes). Avant de pouvoir passer le concours, elle doit bosser un peu. Ça tombe bien : cette année-là, Les Feux de l’Harmattan de Dinard se lancent dans un gros projet : pas moins de quatre spectacles de théâtre en série, une série policière en l’occurrence, qui se jouent au Casino. Elle sera actrice, assistante, technicienne et toujours présente lors des montages !
Les montages, pour ceux qui ne connaissent pas, quand ça se passe bien (et avec Anna ça se passe toujours bien), c’est une ambiance à la fois détendue et précise, où la camaraderie s’accompagne d’une belle exigence. Il faut faire avec ce qu’on a, dans le temps qu’on a, et réussir le mieux possible. Un peu à l’image de la vie elle-même, quand on y pense.
STAFF, c’est parti ! Neuf mois de plateau-école, trois mois de terrain, notamment chez Spectaculaires ; la boîte de presta où elle découvre l’efficacité et les joies du raccord lumière sur les façades des monuments du patrimoine où elle accompagne des mappings… spectaculaires, justement.
Mais la création, me direz-vous, quand en vient-elle à la création ?
Elle a une amusante façon de raconter cela : « une suite d’accidents », dit-elle, et pour en connaître un bout à anima, on voit très bien ce qu’elle veut dire. On la comprend. Cela commence en Bretagne, au festival « Mettre en Scène » à Rennes. Anna est à la régie lumière et elle accueille une remise sur pied avec élargissement d’un très beau « Sujet à vif », qui a marqué des esprits au Festival d’Avignon. 33 tours devient 45 tours ! Créé en extérieur de plein jour, cette fois au TNB, il faut « faire un peu de lumière » autour de David Lescot et de DeLaVallet Bidiefono. Accident heureux : cela se passe très bien, et Véronique Felenbok, qui administre la compagnie de David, lui propose de suivre la tournée de cette nouvelle forme. Les choses s’agencent bien : Martha, l’amoureuse d’Anna, obtient son premier poste d’enseignante du côté de Paris. Anna la suit. Voilà qui va faciliter la collaboration avec la Cie parisienne.
Véronique, à cette époque, est aussi administratrice d’anima motrix. Et Paris, c’est plus proche de Lille que la Bretagne. Oui, chacun le sait, la Bretagne c’est loin de tout, c’est même ça qui fait son charme. Nous voilà ! Nous sommes en 2012 et anima motrix entre dans la danse Sauvage ! On se rencontre, ça le fait bien avec Laurent Hatat. Anna reprend la régie de Nanine, le spectacle musical d’après Voltaire créé avec cinq actrices et puis recréé avec cinq autres. Citons tout le monde parce que c’est drôle, 12 ans après ! La distribution initiale : Mounya Boudiaf, Noémie Gantier, Caroline Mounier, Victoria Quesnel, Tiphaine Raffier et Johann Chauveau au piano, qui écrit la musique. Et celle de la reprise : Lucie Boissonneau, Marie Filippi, Carine Goron, Marilia Loiola de Menezes, Aurélie Ruby et la virtuose au piano Naoko Horikawa. Le collaborateur à la m.e.s., un jeune qui débute de ce côté là, ben c’est Julien Gosselin, les lumières, c’est David Laurie et, pour boucler la boucle, à la régie générale et régie lumière, c’est Anna Sauvage.
Mais Anna et la création ?! me dites-vous derechef ! Patience, le prochain accident arrive.
Autant le dire, Anna arrive au moment où ça turbine sec avec anima. D’ailleurs nous avons besoin de nouveau d’une RG (régisseuse générale, à ne pas confondre avec les renseignements généraux). C’est pour Retour à Reims de Didier Éribon que Laurent Hatat adapte et met en scène. La voilà embauchée pour une création à Avignon en 2014. Dominique Fortin doit faire la création lumière, le créateur lumière historique de Didier Bezace, à nouveau un truc simple et chiadé comme il sait faire. En ce mois de juin 2014, dernière ligne droite de la création, Dominique est très pris avec la direction technique de l’Aquarium et il compte beaucoup sur Anna pour être son binôme, un relais actif. Forcément, il file vite sur son scooter dans les rues parisiennes surchauffées… c’est sans compter avec les automobilistes tête en l’air. Bam ! Dominique, en juin 2014, pendant les répétitions — nous y voilà — a un accident de scooter ! Heureusement, il s’en remettra, mais passe une bonne partie de l’été alité ! C’est donc Anna qui prend le relais avec la bénédiction de Dominique.
Anna, au final, signera la création, presque à son corps défendant.
Anna ne revendique pas un statut de créatrice. Elle l’est pourtant bel et bien, mais préfère passer par le côté pratique et technique des choses. Avec Retour à Reims, elle signe une première lumière pour anima, une lumière organique, brute, radicale, qui donne au spectacle une bonne part de sa force sombre, face à la fatalité d’un destin social, le combat à mener. Son geste s’inscrit dans le jeu des acteurices ; ce n’est pas une conduite « repère texte », mais avec l’œil collé au plateau, pour saisir l’instant, toujours prête à reprendre la main en direct sur les réglages s’il le faut. Avec ce premier spectacle, elle partira, parfois seule aux commandes, pour près de 150 représentations.
Elle enchaîne les créations avec anima motrix : après Retour à Reims vient Une Adoration (2015) d’après Nancy Huston, puis Histoire de la violence d’après Édouard Louis (2019), La Mère coupable d’après Beaumarchais (2020), la polyphonie d’Antigone de Sophocle (2023), puis le cycle Jon Fosse mis en scène par Emma Gustafsson, Comme des étoiles (2024), Je suis le vent (2024) et bientôt Jouer le Jeu en avril 2026.
Jamais sa lumière n’illustre. Elle participe, au sens premier : ses effets font toujours partie du tout. Elle ne la joue jamais en solo. Texte, mouvement scénique, musique, elle accompagne, magnifie souvent. Aussi sa partition de régie se joue au souffle près, au mouvement de regard, à cette légère variation dans le corps. En premier lieu au service, elle surprend toujours par une expérimentation ici, une variation nouvelle là. Chaque spectacle est l’occasion d’essayer une nouvelle technique, un nouvel objet. C’est toujours réjouissant.
Elle a travaillé — et travaille encore parfois — avec beaucoup d’autres : dans le désordre, la Compagnie du Kaïros de David Lescot, déjà citée. Une belle aventure avec Gwenola Lefeuvre et son Théâtre des Silences dès les premières créations, avec Simon Gauchet et son École Parallèle Imaginaire, avec Les Arpenteurs de l’Invisible de Jérémie Sonntag et Florian Goetz. Des terrains différents, toujours la même écoute.
Cette carrière ouverte, elle la mène avec bonheur certain. Avec aussi beaucoup de gratitude pour Martha, sa compagne, avec qui elle a désormais deux enfants. Beaucoup le savent : une vie dans le spectacle, ça se partage avec sa compagne ou son compagnon, qu’elle ou il soit de la partie ou non. Planning oblige. Anna et Martha, c’est une histoire où l’on sait se parler pour, ensemble, surmonter les difficultés. L’amour. Quoi d’autre ?
Anna, si elle n’était pas créatrice de lumière, elle travaillerait le bois.
Là aussi, cette attention artisanale à la matière, et à sa malléabilité, à sa trouée, à son passage du plein au vide, de l’ombre à la clarté.
Anna Sauvage, au-delà de toutes ses qualités artistiques, possède aussi un talent magique : elle sait exister en équipe sans tension. Mieux, elle sait les résoudre. Son humour solaire l’aide, pour sûr. Le rire d’Anna s’entend souvent lors des montages. Mais au-delà de cette bonne humeur qu’elle répand généreusement autour d’elle, de l’embrun breton, il y a sa pratique éprouvée du dire vrai et de la parole non violente. L’art sensible d’énoncer un avis sans allumer d’incendie. Dans le respect et la compréhension des attentes, des besoins, des pressions que chacun, chacune peut subir, elle garde toujours le cap de la bienveillance et de l’attention à l’autre. Et si quelqu’un dérape — cela arrive — elle n’hésite pas à recadrer avec douceur et précision.
Et nous, à anima, dont elle est une partie aussi, nous lui en sommes très reconnaissants.
Vraiment.
Voilà, c’est Anna Sauvage et c’est une créatrice lumière de talent.
Une perle bretonne, qu’on se le dise.